Vendre vos vins en direct aux particuliers sur internet impacte aussi vos réseaux de distribution traditionnels… de façon POSITIVE !
Voici un exemple rapporté par la société Sovos dans une interview de Jason Haas. Il est la deuxième génération propriétaire du domaine Tablas Creek Vineyards à Paso Robles en Californie. Il est aussi au comité de direction de Paso Robles Wine Country Alliance, membre de l’association en charge de promouvoir les cépages du Rhône à Paso Robles, les Rhone Rangers et enfin de l’association Free the Grapes qui milite pour que les vignerons américains puissent livrer directement les amateurs de vins en direct partout aux Etats-Unis.
La complexité du système des trois tiers
Petit rappel du contexte américain qui est assez complexe à cause du système des 3 tiers. Ce système est un héritage de la prohibition censée réguler l’importation, la distribution et la vente au détail des produits alcooliques. En tant que producteur de vin aux Etats-Unis, la législation est plus souple que pour les distributeurs et/ou importateurs mais elle reste tout de même restrictive dans certains États. Pour les cavistes, c’est très compliqué et vous aurez besoin de conseils juridiques importants ainsi que de partenaires logistiques dans différents états… bref, opérer de façon nationale peut coûter très cher et au final engloutir vos marges …. Notons que même si la vente en direct Internet (DTC: Direct To Consumer) est en croissance depuis quelques années aux USA, cela représente plus ou moins 10% des ventes d’un producteur. Enfin, la majorité d’entre eux produisent moins de 60 000 bouteilles/an et le prix moyen des vins est d’environ $55.
Revenons à la vente en direct aux particuliers et à cette interview de Jason Haas afin d’apprendre de leur expérience.
La vente en direct, un levier négligé
En 2017, à Boston, je déjeunais avec un directeur de clientèle de notre distributeur au Massachusetts. On échangeait sur les actions passées lors de ma derrière visite. On avait organisé un grand diner avec des amateurs de vins, c’était un vrai succès. Puis, j’avais animé des dégustations « séminaire » avec un super caviste à Waltham. Pour pouvoir remplir les sessions de dégustation, nous avions lancé des emailings à nos abonnés et aux membres de notre wine club.
Je lui disais que c’était grâce à cette action que nous avions eu autant de succès. Il me répondit : « On n’est pas d’accord sur la vente en direct mais je crois que ça peut tout de même servir à quelque chose ! ».
Cette conversation était un rappel important au sujet des incompréhensions entre la vente en direct et les acteurs des réseaux traditionnels de distribution. Leur façon de voir les choses ou de les juger à court terme les empêchent de bien comprendre les enjeux de la vente en direct. Après tout, notre distributeur du Massachusetts était en croissance de 38% cette année, après des années de ventes stables. La plupart des compagnies pourraient « tuer » pour avoir ses performances.
Alors quelles sont les choses qui ont vraiment aidé ?
Premièrement, en février 2015, un assouplissement de la loi au Massachusetts a permis la vente en direct des vignerons américains aux amateurs vivant dans l’État. À première vue, on peut penser que cette loi serait contre-productive pour les distributeurs voyant leurs producteurs vendre en direct et potentiellement prendre leurs ventes. Pas vraiment !
Fidéliser la clientèle
Voici pourquoi et comment la vente en direct aide les ventes du réseau de distribution traditionnel :
1) Les vignobles sont meilleurs pour obtenir des fans et les rendre fidèles. Grâce à différentes actions, un vignoble peut recevoir chaque année des milliers de visiteurs provenant de plusieurs États. Bien sûr, la majorité de nos visiteurs viennent de Californie puis des États voisins mais nous pouvons noter plusieurs centaines de visiteurs provenant du Massachusetts.
En revanche, dans le cas où les visiteurs ne s’abonnent pas à notre wine club et ou s’ils n’achètent rien lors de leur passage, ce sera difficile de garder le contact avec eux. Cela veut aussi dire qu’une fois rentré chez eux, s’ils voient nos vins chez un caviste ou sur la carte d’un restaurant, nous n’aurons plus la possibilité de développer une connexion et finalement moins de chance qu’ils choisissent notre vin plutôt qu’un autre.
Par conséquent, ils n’apporteront pas non plus notre vin chez leurs amis ce qui nous empêche de rejoindre les amis des amis auprès des amateurs de vins. Je crois aussi que — bien que ce soit difficile à prouver avec des données — l’interdiction de livraison dans certains états décourage les amateurs de vins de venir nous visiter pour éviter la frustration de ne pas pouvoir retrouver nos bouteilles chez eux…
Toucher de nouveaux prospects
2) Il faut noter que les vins que les visiteurs qui achètent à la propriété ne sont pas les mêmes que ceux que l’on trouve chez les cavistes. Et il est assez improbable que les amateurs de vin changent leurs habitudes d’achat chez le caviste pour un achat en ligne au sujet des vins plus abordables.
Voici pourquoi :
La livraison du vin est assez chère. C’est lourd, fragile et on doit faire attention aux écarts de température. Si vous essayez, il est fort probable que les amateurs de vin aux 4 coins du pays découvrent des différences de prix dus aux coûts de transport. Du côté des producteurs, nous devons préparer des documents légaux de circulation… tout ceci allonge les délais de livraison. Bref, ce n’est pas une opération rentable pour les vins abordables ou avec une grande représentation sur le terrain.
Le prix moyen d’une bouteille de vin aux États Unis est d’environ $7HT. Même s’il y a une demande croissante pour des vins plus chers, les livraisons ne font aucun sens économique. Pour un producteur, le seuil moyen par bouteille à atteindre est au-dessus de $20HT pour pouvoir dégager assez de marge afin d’absorber les coûts de livraison et vendre en direct aux particuliers. Du coup, quel type de vin vaut la peine d’être acheté par un amateur et d’être vendu en ligne pour un producteur ? Et bien ceux que l’on ne trouve pas partout ou tout du moins pas facilement. La vente en Direct ouvre la voie au marketing et présente des opportunités intéressantes pour les amateurs de vins.
Un producteur ne produit jamais assez de vins « ou n’aura jamais assez de demande » provenant de tous les marchés, tous les États, etc … Donc dans beaucoup de cas, un amateur ne pourra pas trouver du Tablas Creek chez un caviste partout et/ou proche de chez lui. Et s’il y arrive, ce sera sûrement notre premier vin Patelin de Tablas. Si jamais, il a entendu parler dans un article de notre Vermentino ou de notre nouveau Terret Noir. Dommage car ces vins produits en petite quantité sont toujours vendus en ligne et très peu distribués chez les cavistes.
Je suis sûr que la plupart des producteurs autour de nous ont les mêmes données que nous … C’est du reste vérifié avec l’un de nos voisins à Paso Robles qui produit des grands vins. Lors de notre derrière visite chez eux, notre hôte nous expliquait qu’ils ont véritablement 2 gammes séparées pour les distributeurs et une autre pour les amateurs de vin. Et enfin, la plupart des producteurs ne sont pas présents au niveau national faute de volume, de notoriété etc…
Faciliter la promotion
3) Dans les restaurants, c’est assez différent ! D’ailleurs, beaucoup de restaurants permettent aux amateurs d’apporter son vin en échange d’un droit de bouchon. Et puis, il y a aussi des États qui permettent aux restaurateurs d’acheter directement aux producteurs. La logistique de la livraison à un restaurant nécessite de passer par un distributeur dans l’état.
Bref, est-ce que la vente en ligne impacte les ventes des restaurants ? En fait, c’est l’inverse… Nous avons découvert que ce sont les abonnés à notre wine club, « nos super-fans », qui sont les plus à même de commander nos vins au restaurant ! Ils sont fiers lors d’un dîner entre amis de partager une bouteille de leur producteur préféré. En plus, ils se font ambassadeurs !
Donc, si on ne peut pas livrer en direct dans un État, ce sera très compliqué d’avoir des abonnés au wine club, du coup les ventes en restaurant de nos super-fans n’auront pas lieu.
Finalement. La vente en direct pousse les producteurs à communiquer. En plus de toutes les raisons qui permettent à nos distributeurs d’augmenter leurs ventes dès que l’on vend en direct, la déréglementation pousse le producteur à faire plus d’efforts marketing dans le nouvel État qui accepte les livraisons.
Avant 2015, je n’avais pas visité le Massachusetts depuis plusieurs années, même si j’y ai étudié auparavant et que j’y ai encore beaucoup d’amis. En revanche, je visitais pour les affaires tous les ans les États de New York et de Illinois, où l’on peut livrer en direct. Sur un marché classique, je passe en général plusieurs jours avec un distributeur pour l’aider à référencer nos vins et mes soirées sont dédiées aux dégustations avec des amateurs dans des restaurants et/ou des cavistes. Pour promouvoir les dégustations, nous utilisons notre base d’abonnés, ce qui leur permet d’avoir de nouveaux clients. Cela permet aussi de donner envie à ces nouveaux clients de venir nous visiter ou bien de s’abonner à notre wine club ou tout simplement d’acheter notre vin chez leur caviste.
Dans un marché (État) où l’on ne peut pas livrer en direct, je peux faire le même travail de promotion avec mon distributeur mais beaucoup moins de dégustations auprès des consommateurs car les résultats sont moindres. Notre temps et nos efforts marketing sont comptés, nous devons agir rationnellement pour avoir un meilleur retour sur investissement. Du coup, malheureusement, nous nous concentrons moins sur les États qui n’acceptent pas les ventes en direct.
Analyser, étudier et construire une stratégie cohérente
Merci à la société Sovos et à Jason Haas d’avoir publié cette interview qui nous permet d’apprendre de son expérience.
Voici mes remarques :
- On constate bien l’importance de l’oenotourisme pour l’expérience client et de son exécution dans la collecte de données des amateurs de vin. C’est la base du développement de la marque et de son ADN.
- La connaissance des marchés, de leurs acteurs, des consommateurs et de leurs habitudes. Tout ceci permet à des vignerons de construire des gammes de produits cohérentes par État ou par réseau de distribution.
- Et enfin, le fait que toutes nos actions sont liées et ont des impacts parfois là où on ne les attendait pas… Les actions commerciales et marketing sur le terrain mais aussi sur internet !
Il est donc nécessaire d’analyser l’ensemble des éléments d’un marché pour pouvoir établir une stratégie efficace, cohérente et rentable. Tout ceci nécessite parfois de l’aide extérieure de professionnels expérimentés qui vous feront gagner du temps et vous éviteront de tomber dans certains pièges.
© Gérard Spatafora